Excusez-moi, je suis chrétien...
N'en déplaise à ceux qui y voient un pays laxistes, de moeurs privées et publiques décadentes à force de laisser-aller et de je-m'en-foutisme institutionalisés, la France est en fait très à cheval sur l'étiquette - l'étiquette intellectuelle, s'entend. Une brigade des moeurs toujours aux aguets punit avec la dernière sévérité le moindre manquement ou dérapage. Qu'on se le dise: il y a, dans notre beau pays et malgré la tolérance qui y règne, des choses
qui ne se font pas: être de droite, embrasser les thèses libérales, aimer et soutenir les Etats-Unis, s'opposer à la fête comme politique où à la pornographie élevée au rang des beaux-arts, vouloir manger des OGM... ou, tout bêtement, être chrétien et surtout catholique, du moins de manière trop visible, trop
ostentatoire.
Car il faut bien l'admettre: la France "fille aînée de l'Eglise" c'est fini, aussi irrémédiablement que le Capri cher à Hervé Vilard. Un siècle après la Séparation et les coups de boutoir du Petit Père Combes, le Christianisme n'est plus chez nous au mieux qu'une manie anodine et un bon sujet de plaisanterie, au pire une hérésie, une maladie honteuse dont il importe d'éradiquer les derniers miasmes au plus vite. Le
malade croyant peut certes espérer vivre à peu près tranquille, du moment qu'il ne manifeste pas sa foi trop bruyamment (auquel cas il risquerait de se faire taxer d'intégrisme) et accepte d'avaler toutes les couleuvres que les frères (et soeurs) de la Laïcité heureuse s'emploient à lui faire avaler pour le salut de... de quoi au fait?
Le BCC (Bon Citoyen Chrétien) se doit donc de ne pas broncher quand une chaîne de service public diffuse, à trois jours de Pâques,
un film où les habitants catholiques (et pratiquants, comme si cela ne suffisait pas!) d'un petit village sont représentés comme autant de bigots étroits d'esprits et refoulés, auxquels une charmante chocolatière vient apporter la liberté et la joie de vivre.
De même, le BCC est prié de crier au génie à la diffusion sur une autre chaîne publique, et toujours pendant la saison pascale, d'un
documentaire reposant sur la thèse fort séduisante que le christianisme n'est qu'une vaste manipulation, montée sur la base de documents à l'historicité douteuse par des Pères de l'Eglise particulièrement retors et - cela va de soi - antisémites à fond les manettes.
On demandera enfin audit BCC de participer à l'Hallali quand les médias, intellectuels et professionnels de la profession fondent comme un seul homme sur
l'oeuvre d'un cinéaste américain qui a le front de montrer la Passion comme elle a probablement eu lieu.
Et je ne parle pas des innombrables livres qui font de la religion chrétienne un portrait plus noir encore qu'une mine de charbon à la nuit tombée, en insistant sur son crime le plus repoussant, véritable affront au génie humain: la répression sexuelle, quand bien même celle-ci
existait déjà auparavant. Ou des manifestations "bon enfant" à chaque visite du Pape, lui-même victime permanente des humoristes et dessinateurs de presse "engagés"...
Mais le BCC a l'épiderme solide, il est entraîné à subir, la preuve il a sagement obéi quand on lui a
ordonné demandé de ne plus venir en classe avec une grande croix - alors même qu'il n'en avait jamais porté. Bah! Son royaume n'est pas de ce monde, de toute façon, et on lui a enseigné de pardonner à ses ennemis... et à aimer les pauvres d'esprit. Ce qui lui fait beaucoup, beaucoup de monde à aimer en France...
- A lire: les avis de
Frodon et
Harald sur l'affaire Mel Gibson.
Plus ça change, plus c'est la même chose...
Les apparences sont parfois trompeuses. En effet, la fine analyse ci-dessous
n'est pas due à la plume spécialisée de M. Ignacio Ramonet:
Les États-Unis aspirent à trouver dans les pays européens des relais dociles de leur politique. D'où diverses formes de pressions comme la menace du désengagement militaire, la baisse délibérée du dollar ou encore la monopolisation des industries de pointe.
Oui, je sais, on jurerait du Bové ou du Mamère, mais l'astucieuse recommandation ci-après n'émane pourtant ni des Verts, ni de la Confédération Paysanne:
ne serait-ce que pour effacer la scandaleuse inégalité de répartition des consommations d'énergie entre les pays " riches " et les pays " pauvres ", il faudra passer du système énergétique actuel, principalement fondé sur le pétrole, à un nouveau système fondé sur le charbon
De même, ce n'est pas un souverainiste de droite ou de gauche, fervent défenseur de l'Europe des Nations et de la "diversité culturelle" qui s'exprime ici:
Reste qu'on ne peut passer sous silence les contradictions entre pays capitalistes, ni les obstacles que représentent encore les États-nations, ou le libre jeu de la démocratie à, l'homogénéisation culturelle, idéologique et politique du monde occidental.
Enfin, vous auriez tort de voir la patte du PCF, de la CGT, de FO ou de ATTAC dans ce savoureux diagnostic:
De jour en jour la société capitaliste a fait payer plus chèrement sa crise aux travailleurs. Docile aux riches et aux puissants, elle réserve aux faibles ses coups. Profit et privilèges sont sa philosophie. Inflation, chômage, inégalités, dirigisme, soumission aux intérêts du capitalisme étranger colorent le fond du tableau sur le devant duquel s'agitent les personnages qui décident pour la France et parlent en son nom.
Ces perles, ainsi que de nombreuses autres encore plus spectaculaires, on peut les trouver dans la plateforme élaborée par le Parti Socialiste à l'issue de sa convention nationale de 1980. Les gens de la rue de Solférino étant réputés avoir "évolué" depuis ces temps reculés où ils préparaient le passage des ténèbres à la lumière, on pourrait penser qu'ils aient vaguement honte de ce texte et essaient plus ou moins de le mettre sous le boisseau. Que nenni! Ils poussent même la fierté jusqu'à le
mettre en ligne, histoire que les lecteurs du monde entier puissent y avoir accès. Les occasions de franche rigolade, c'est vrai, ne sont pas légion par les temps qui courent, et nous devrions être reconnaissants au PS de montrer une telle sollicitude pour nos zygomatiques.
Quelque chose me dit pourtant que ce n'est pas le but visé. Les webmasteurs voient de toute évidence dans ce texte un grand moment de l'histoire du parti, un sommet de la pensée socialiste que tout militant se doit de méditer. On ne peut dès lors s'empêcher de se demander jusqu'à quel point le PS a évolué au cours des deux dernières décennies, et ce ne sont certes pas les déclarations de certains de ses leaders ou grandes gueules qui vont nous rassurer.
Mais revenons à nos moutons. Nous sommes en 1980, en France, du bon côté du mur. Voilà déjà plus de vingt ans que les socialistes allemands ont répudié le marxisme. C'est pourtant à jeun, du moins on le suppose, que leurs congénères français écrivent ce
préambule aux accents très "prolétariens":
NON ! La droite n'est pas au pouvoir pour vingt ans !
NON ! Les jeux ne sont pas faits !
Alors que le système qu'incarne M. Giscard d'Estaing produit chaque jour les fruits attendus (chômage, vie chère, dégradation du pouvoir d'achat, etc...), en face la résistance des travailleurs s'affirme toujours avec force.
La possibilité du changement qu'avait fait apparaître l'Union de la Gauche de 1972 à 1977 reste vivante, malgrè les difficultés, dans la conscience populaire.
Le Parti socialiste vous dit que ce qu'on appelle " la crise " n'est pas une fatalité. La crise présentée par les dirigeants actuels du capitalisme mondial comme une conséquence de la division international du travail est en réalité le résultat d'une politique au seul service de l'argent et des privilèges.
Il n'est pas vrai que les travailleurs soient condamnés à l'insécurité et à l'injustice, les citoyens à toujours moins de liberté !
La France n'a pas le dos au mur face au monde de demain !
Ses atouts sont nombreux, pour peu qu'elle sache porter son regard vers l'avenir et mobiliser ses capacités aujourd'hui inemployées.
Un grand peuple ne supporte pas longtemps d'être privé d'un grand dessein : c'est l'ambition du PROJET SOCIALISTE que de lui en offrir un.
Pour mémoire, ni Alain Krivine ni Arlette Laguiller n'étaient membres du PS à cette époque, Olivier Besancenot étant quant à lui trop jeune. Nombre de dirigeants actuels du parti, en revanche, étaient déjà là. Certains ont même mis la main à la pâte de ce soufflé lourdingue. Il ne faut donc pas s'étonner que, presque vingt-cinq ans plus tard, ils tiennent le même discours, quoique dans un langage sensiblement différent - seule concession à la modernité.
Les socialistes ont peut-être, du moins pour la plupart, renoncé à "dépasser" le capitalisme, mais ils n'ont pas encore fait la paix avec lui. Rien d'étonnant, donc, à les voir fraterniser avec les communistes, les verts, les altermondialistes, voire d'anciens terroristes reconvertis dans l'écriture de romans noirs. Entre eux et leurs "amis" allemands, britanniques, italiens, scandinaves et même - à en juger par leurs premières déclarations - espagnols, il y a un monde de différence, qui est celui qui sépare socialisme dur et social-démocratie.
Une droite pas assez à droite, une gauche trop à gauche: au fond, tout le problème de la vie démocratique française est un problème d'identité.
- Merci à
Jubal pour m'avoir fait connaître ce texte capital du pré-mitterrandisme.