Rue Taranne
8/18/2004
  La fabrique de la postérité

L'indépendance d'esprit, l'originalité de la critique littéraire française m'épatera toujours. Comme il était question du Prix Goncourt lors d'une discussion sur un forum auquel je participe, l'idée me vint de voir ce qu'Internet avait à dire sur l'un de ses plus "célèbres" lauréats, quoique cette "célébrité" soit en fait rien moins qu'enviable, j'ai nommé Guy Mazeline.
Mazeline, pour ceux qui ne le connaissent pas, est l'homme qui rafla en 1932 le Prix Goncourt au "génial" Louis-Ferdinand Céline et à son "chef-d'oeuvre" Voyage au bout de la nuit. J'espérais en apprendre plus sur l'auteur et son livre, mais j'en fus pour mes frais. Tous les articles que je trouvai étaient à charge, qualifiant le gagnant de "fade", "pommadé", "terne", "académique", j'en passe et des meilleures. Le caractère récurrent des injures me pousse d'ailleurs à me demander si les contempteurs ont jamais lu le livre; il est probable que non, et ce n'est d'ailleurs pas la peine: les pontifes du milieu répètent depuis soixante-dix ans que Céline est un génie et que Mazeline est un nullard, ça doit donc être vrai. Fermez les guillemets, rompez les rangs, circulez y a rien à voir. Je suis un peu déçu, dans la mesure où je m'attendais à voir au moins une tentative, même légère, de réhabiliter un auteur qui mourut en 1996 sans que les médias daignent nous en informer. Peine perdue, nous sommes en France, le pays des vérités officielles, même dans le domaine littéraire.
J'avoue tout de même avoir bien rigolé en lisant plusieurs articles qui inféraient de l'oubli dans lequel ils étaient tombés que certains lauréats du Goncourt avaient fait la preuve qu'ils n'appartenaient pas aux "classiques" de notre littérature nationale, en particulier quand ils avaient triomphé d'auteurs que nous considérons à présent comme des monuments. Honnêtement, l'argument de la postérité m'a toujours semblé ridicule, d'abord parce que je pense comme Tristan Bernard qu'un livre n'est pas un parapluie et n'est donc pas tenu de durer. Ensuite, parce que la survie d'une oeuvre n'a rien à voir, ou pas grand-chose, avec sa qualité intrinsèque. C'est le goût qui change, pas les livres. Dans certains cas, ils sombrent dans l'oubli en raison d'un mouvement de mode; dans d'autres, ils se montrent suffisamment "malléables" pour traverser les différents revirements d'opinion. Et puis, la postérité, ça se fabrique. De nombreux "classiques" sont en fait maintenus en respiration artificielle par les historiens, les critiques, les enseignants et l'immense masse de ceux et celles qui ne les ont pas lus mais n'admirent pas moins... "parce que ce sont des classiques, et que ce ne seraient pas des classiques s'ils n'étaient pas bons". Dans un pays comme le nôtre où l'argument d'autorité est la forme suprême de la persuasion, le procédé fonctionne à merveille et a de beaux jours devant lui.
On aimerait toutefois entendre, lire ou voir de temps en temps, juste pour le plaisir, des "Moi j'aime pas Hugo", "Balzac, c'est de la daube", "Proust est très surestimé" ou - pour rester dans le sujet - "Céline c'est pas le pied". Juste histoire d'être rassuré sur la capacité des Français à penser et juger par eux-mêmes. On peut attendre longtemps, je le crains...
 
  Sauvons l'Europe: quittons-la!

Malgré quelques nominations discutables et qui tiennent sans doute à la nécessité politicienne de ménager tout le monde et de ne blesser personne - du moins ouvertement - la composition de la nouvelle Commission Européenne, sous la houlette du Portugais Jose Manuel Barroso, devrait susciter un a priori favorable de la part de tous les libéraux et europhiles de bonne foi.Hélas, libéraux et surtout europhiles de bonne foi sont personnes rares en France. Aussi ne doit-on pas s'étonner de ce qu'une bonne partie de la classe politique et des médias héxagonaux se soit empressée de tirer à boulets rouges sur l'exécutif tout chaud. Eh quoi, voilà une Commission dont "les postes -clés sont confiés à des personnalités qui ont fait la preuve de leur orientation systématique libérale dans leurs responsabilités précédentes" (dixit Arnaud Montebourg) et qui, comme si ce n'était pas assez d'infâmie, pousse le vice jusqu'à ne laisser au magic duo franco-allemand que des strapontins! A droite comme à gauche, les mêmes interrogations, les mêmes angoisses rongent nos élites. La France devra-t'elle accepter de n'être qu'un pays-membre parmi les autres, et abandonner ce rôle d'Ame et d'Inspiration à elle dévolu par Dieu et par l'Histoire? Comment, avec une Commission ultralibéraale, drivée par un vassal notoire des Etats-Unis et où notre influence bénéfique ne pourra se faire sentir, pourrons-nous faire avancer notre grand rêve européen, c'est-à-dire:
1°) Préserver - et imposer aux autres, tant que l'on y est - nos merveilleux "acquis sociaux" et le déficit chronique qui les accompagne;
2°) Défendre cette exception culturelle qui fait l'admiration des Nations-Unies et la fortune de nos artistes;
3°) Faire de l'Europe un contrepoids nécessaire à l'hyperpuissance américaine, garantissant un multipolarisme gage de paix et de stabilité (et de défense de nos intérêts);
4°) Contourner les règles communes lorsque cela nous arrange;
5°) Réduire au silence ceux qui ne sont pas contents.
Impensable! Face à l'Antéchrist lusitanien, d'aucuns se préparent donc pour l'Armaggedon: "Cette Commission européenne fait désormais partie de nos adversaires" tonne Arnaud Montebourg, décidemment très en verve, tandis que l'Organe Officiel de Propagande Chiraquo-Raffarinienne - anciennement connu sous le nom de Figaro - rappelle la nécessité pour Chirac et Schröder, de "manifester que le couple franco-allemand reste, comme aux origines, le «moteur» d'une Europe qui doit porter une vision politique tout autant que faire vivre un espace économique" afin de "rétablir l'équilibre" - en clair, faire de l'obstruction plus ou moins systématique afin de montrer au Portos qui est le vrai boss.
On ne doit pas s'étonner, après cela, de ce que la France (comme, à un moindre degré, l'Allemagne) soit l'objet d'un ressentiment croissant parmi les autres pays membres. Certains ont en effet du mal à digérer l'arrogance et l'hypocrisie d'un pays qui appelle au renforcement de l'Union mais revendique en même temps un statut prédominant à l'intérieur de celle-ci, et qui fustige l'impérialisme d'autrui quand il entend décider pratiquement seul de la politique commune. Ces velléités autocratiques, certes anciennes mais plus pressantes encore depuis deux ans, font grincer d'autant plus de dents que l'aspirant-conducatore est souvent perçu comme n'ayant pas les moyens de ses prétentions. Economiquement exsangue, socialement bloquée et culturellement stérile ou presque, la France du début du vingt-et-unième siècle ressemble à un chat de gouttière tout pelé qui, se coiffant d'une crinière et imitant tant bien que mal le rugissement du lion, entendrait devenir le roi de la jungle. Malheureusement pour elle, l'Union élargie, pour n'être pas une jungle, compte néanmoins pas mal de vrais lions qui ne sont pas prêts, eux, à laisser le matou faire sa loi, à plus forte raison quand ce sont eux qui lui paient sa pâtée - et ils risquent bien un jour de la lui mettre, au sens figuré.
L'initiateur du grand-projet-français-pour-l'Europe, le Très Saint et Très Révéré Charles de Gaulle freina autant qu'il put l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché Commun, arguant que ce serait une catastrophe. De fait, la Perfide Albion ne reçut son carton d'invitation qu'en 1973, soit trois ans après la mort du Général, et notre presse ne s'est pas gênée depuis pour fustiger l'euroscepticisme régnant Outre-Manche, l'insistance de Londres à obtenir des passe-droits pour certaines règles communautaires - notamment fiscales et sociales - ou le refus acharné des Britanniques d'abandonner la Livre Sterling au profit de l'Euro. Aussi agaçantes que puissent être ces réticences à l'intégration traduisant une volonté de profiter des avantages de l'Union sans en subir les inconvénients, il n'en reste pas moins que ce n'est pas Londres qui depuis quarante ans modèle l'Europe selon son bon plaisir, avec le secret espoir d'en faire une réplique d'elle-même à l'échelle continentale, les autres n'ayant d'autre choix que de lui lécher les bottes ou de la boucler. Ce n'est pas elle non plus qui pioche régulièrement et toute honte bue dans les caisses communautaires pour renflouer une économie qu'elle n'a ni la volonté ni l'envie de réformer drastiquement. Bref, ce n'est pas la Grande-Bretagne qui torpille l'Europe. C'est bien à nous, et à nous seuls, que revient le mérite de cet exploit. Il n'existe, en l'état actuel des choses, que deux solutions qui permettraient à l'Union d'échapper au chaos et à la fragmentation qui la menaçent chaque jour un peu plus. La première est celle du bon sens: les Français descendent de leur nuage, acceptent leur statut de moyenne puissance et de pays membre comme les autres. Le bon sens, malheureusement, n'est pas le fort de notre pays, et surtout de ses gouvernants. La seconde est donc la plus réaliste: la France de gré ou de force quitte l'Union, avec si elle le souhaite ses chers amis d'Outre-Rhin qu'elle considère comme seuls dignes de son estime. Aussi surprenant que cela puisse paraître à notre ego surdimensionné, il y a de grandes chances pour que les autres pays arrivent à se débrouiller sans nous. Il se pourrait même qu'ils ne s'aperçoivent pas de notre absence...
 
8/06/2004
  Etats-Unis: qu'est-ce qui coince? (1)

Ce qui frappe le plus l'observateur étranger dans l'actuel paysage politique américain est son extrême polarisation. Il est certes rafraîchissant pour qui vit dans une France où l'on pense au pas de l'oie de constater que de véritables clivages et des opinions tranchées subsistent au pays de l'Oncle Sam. Mais on peut également s'inquiéter de la dégradation du débat, les insultes se substituant aux arguments, la polémique à l'analyse et le combat des personnes à celui des idées. La campagne pour la présidentielle est à ce titre éclairante: à la gauche qui compare Bush à Hitler, les Républicains répondent par de fins commentaires sur le profil "français" du candidat démocrate. La vie politique américaine n'a certes jamais été des plus civilisées, et les coups bas n'ont jamais été absents des campagnes électorales, mais une telle bassesse est rare, voire inédite. Alors que s'est-il passé? Comment en est-on arrivé à ce que deux Amériques se regardent en chiens de faïence? La fracture est-elle réparable? C'est à ces questions que cet article et quelques autres à venir s'efforceront de répondre.
Mais commençons par prendre le mal à sa racine, la Maison-Blanche.
Alors même que les Etats-Unis sont arrivés au faîte de leur puissance et de leur rayonnement, la présidence traverse une crise grave depuis le début des années quatre-vingt-dix. Deux présidents minoritaires (Clinton, puis Bush) se sont succédés à la Maison-Blanche et, ce qui n'arrange rien, deux présidents dont la personnalité et le style ont fortement divisé l'opinion. Quand Clinton arrive au pouvoir en 1993, il devient immédiatement la bête noire des Républicains et de la droite en général. Son programme, jugé trop à gauche, suscite l'ire des reaganiens et des conservateurs, tandis que ses frasques et son attitude "cool" le fait mal voir des religieux. La campagne électorale de 1996, jugée peu passionnante par les médias français, est en fait un tournant. Clinton bat en effet Dole en occupant le centre avec un programme presqu'aussi républicain que le roi, et entame ensuite une série de réformes qui auraient fait la joie du vieux Ronnie. Comme l'avait bien vu Alexandre Adler à l'époque, la campagne de 1996 marque le dernier tour de piste du Parti Républicain "old school" qui, marqué au centre par Clinton, n'a d'autre choix que de se radicaliser et de s'allier à la droite religieuse.
C'est donc un Parti Républicain plus à droite, voire droitier, idéalement représenté par Bush, qui conquiert la Maison Blanche en 2000. Diabolisé et ridiculisé avant même son entrée à la Maison-Blanche, Bush aggrave son cas par une victoire extrêmement controversée et, en malgré sa volonté affichée d'être "le président de tous les Américains" et le recentrage qu'il opère (n'oublions pas que le programme de Bush tel qu'exprimé en 2000 n'a jamais été appliqué) il ne parviendra jamais , sinon à conquérir, du moins à obtenir l'indulgence de la moitié du pays qui n'a pas voté pour lui. Les Démocrates ne digèrent pas une défaite considérée comme injuste et les liberals critiquent la religiosité à leurs yeux excessive du nouveau président et ses liens avec les fondamentalistes, tandis que la "gauche de la gauche", semant les graines d'une rhétorique qui fleurira deux ans plus tard, se met à crier au coup d'état et au fascisme rampant.
Les attentats du 11 septembre, la guerre en Afghanistan et la brève communion internationale avec les Etats-Unis génèrent un bref état de grâce, mais, tout comme Clinton avait fait un cadeau en or à la droite religieuse avec le Monicagate, Bush fournit un merveilleux bélier à ses ennemis: la guerre en Irak, et la polémique qui s'ensuit sur les armes de destruction massive, ou plutôt sur l'absence d'armes de destruction massive.
Le mouvement anti-Bush prend rapidement de l'importance, dans la mesure où il bénéficie de relais dans les médias majoritairement de gauche, que des républicains à l'ancienne comme John McCain ne se gênent pas non plus pour critiquer l'action présidentielle et que l'après-guerre en Irak (notamment les actes de torture commis dans la prison d'Abu-Ghraib) apporte de l'eau à son moulin. La jonction avec les Democrates classiques ne tarde pas à s'opérer, comme en témoignent l'étoile filante Howard Dean ou certains spots de campagne de John Kerry. La récupération de l'anti-bushisme s'accompagne également d'une surenchère "sociale" bien incarnée dans le discours très "classe contre classe" du candidat à la vice-présidence, John Edwards, et destinée à récupérer les liberals en froid avec le Parti depuis la dérive "droitière" de Clinton.
On peut craindre qu'une victoire de John Kerry, si elle restaure dans un premier temps l'image des Etats-Unis à l'étranger, ne s'avère finalement plus nuisible encore au niveau intérieur. Otage d'un parti fortement gauchi, Kerry devra composer avec ses radicaux tout comme Bush doit composer avec les siens. Or, la dernière chose dont les Etats-Unis aient besoin en ce moment est d'un président trop à gauche - ou trop à droite, d'ailleurs. Le prochain locataire de la Maison-Blanche, s'il veut ne pas être le dernier, devra s'appuyer sur les plus petits dénominateurs communs, quitte à perdre l'appui des "durs" de son parti. Ce n'est pas gagné d'avance. Mais ce n'est pas perdu non plus.
 
Raleur, reac et ronchon, d'une mauvaise foi incroyable, Taranne deverse ici sa bile sur le monde moderne. Collectivistes, philoneistes, adeptes de la solidarité obligatoire, de la culture festive et de la subversion conformiste, passez votre chemin. Quant aux autres, asseyez-vous, prenez vos aises. This blog is your home.

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