La Machine à Pas-Voter
Les sondages (et l'expérience) le laissaient présager, les résultats définitifs le confirment: l'Europe, les Français n'en ont rien à secouer.
Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls: le taux de participation pour l'ensemble de l'Europe est de 44,2%, soit cinq points de moins que lors du dernier scrutin, la tunique d'infâmie revenant aux ex-pays de l'Est qui, un mois seulement après leur entrée tant souhaitée dans l'Union, ne se sont mobilisés qu'à hauteur de 16 à 20%.
Bien qu'ennemi résolu de l'abstention, et ayant de ce fait rempli hier un devoir électoral qui ne me souriait pourtant pas plus que ça, je ne puis me défaire d'une certaine empathie avec mes frères et soeurs abstentionnistes qui ont préféré le confort de leur fauteuil préféré à l'étroitesse de l'isoloir.
De tous les scrutins que les décentralisations et délégations de pouvoir en tous genres ont multiplié depuis une trentaine d'années sur la tête du malheureux électeur, les Européennes sont probablement celles qui suscitent le moins d'enthousiasme, même chez les rares europhiles sincères.
D'abord, parce que la plupart des Européens n'ont aucune idée, ou alors très vague, de ce pour quoi ils sont appellés à voter. L'Union, son fonctionnement, ses règles, leur sont aussi lointains et étrangers que la Cour pouvait l'être pour un paysan de l'Ancien Régîme. Les médias et les politiques, ici comme ailleurs, ont fait preuve d'une remarquable pédagogie. L'Homo Europeanus Vulgus n'est guère informé de ce qui se trame à Bruxelles et Strasbourg que sur des points mineurs ou pour entendre flétrir la "technocratie" par quelque politicien furieux de s'être vu refuser un crédit ou rappeller que la loi est la même pour tous. Voilà qui n'avance guère celui ou celle qui se demande à quoi sert ce gros machin qu'on lui présente comme son avenir, et comment ce dernier en sera affecté.
Aussi, et surtout, l'électeur moyen se rend bien compte que les candidats, en plus de donner parfois l'impression de n'en savoir pas plus que lui sur la question, donnent non moins souvent le sentiment de ne pas être très... comment dire? concernés. Sur un tel sujet, qui rappellons-le, intéresse quelques centaines de millions d'individus, le moins que l'on puisse attendre d'un candidat est une
vision, même embryonnaire. Or, cette vision, nombre de politiques ne l'ont pas, ou du moins pas plus que si le Parlement Européen était l'équivalent un peu plus important en nombre de sièges du Conseil Municipal d'un petit village de la Creuse. Un grand nombre se contente purement et simplement d'appliquer sur la question européenne la grille de lecture qu'ils utilisent à l'échelle locale, proposant d'étendre à l'Europe entière les méthodes qui réussissent (ou échouent, ce qui revient du pareil au même en jargon politicien) dans leur propre pays.
D'autres suivent le chemin inverse et transforment le scrutin en tribune, et l'Union en Cheval de Troie pour des questions purement nationales. On voit alors fleurir des appels au "vote-sanction" contre le gouvernement en place, à moins que l'on nous invite à soutenir celui-ci en "votant utile" - messages entendus le plus souvent cinq sur cinq par la minorité qui consent à se déplacer, ce qui explique le fréquent provincialisme des résultats.
Il y a, enfin, toutes ces candidatures de témoignage qui profitent de l'occasion pour promouvoir des causes aussi diverses que les droits des animaux, la restauration de la monarchie ou - poussant jusqu'à l'absurde le concept d'élargissement - le conflit Israélo-Palestinien. Si bien qu'au final, les seuls candidats à vraiment parler de l'Europe, à présenter une véritable vision, sont paradoxalement les eurosceptiques et les europhobes. Ceci explique sans doute cela.
Il m'est donc impossible de blâmer ceux et celles qui ont jugé avoir mieux à faire que de déposer un bulletin dans l'urne. Tout est fait précisément pour qu'ils restent chez eux et laissent les eurocrates cuisiner leur petite soupe dans leur petit coin.
Toute élection, tout scrutin, suppose un enjeu. Or, cet enjeu, ce sont aux politiciens de le fournir, pas aux électeurs de l'inventer. Qu'ils n'aillent donc pas se plaindre quand l'homme de la rue refuse de faire le sale boulot à leur place.